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Travailler en création numérique : évolution des métiers graphiques 2D-3D et enjeux de formation

Constats et pistes de réflexion

Constats

À la lumière des résultats de la revue documentaire, des informations obtenues de la part des professionnelles et professionnels des trois secteurs ayant participé à l’enquête, ainsi que des enseignantes et enseignants des programmes collégiaux et universitaires menant vers les métiers graphiques 2D et 3D, ce rapport retient les aspects suivants :


Illustration: Cyril Doisneau
Les besoins en main-d’œuvre en lien avec les programmes de formation initiale visés

Les entreprises des trois secteurs de la création numérique ciblés dans l’étude connaissent une forte demande en main-d’œuvre qu’elles peinent à pourvoir avec le bassin actuel de professionnelles et professionnels qualifiés de la province. Toutefois, les postes avancés pour lesquels les difficultés de recrutement sont les plus importantes ne sont pas à la portée de finissantes et de finissants des programmes de formation collégiaux et universitaires.



  • En effets visuels et animation : les entreprises cherchent surtout des artistes de niveau intermédiaire et sénior pour combler les besoins rapides d’embauche lors de l’arrivée d’une superproduction étrangère dans les studios. Ces derniers éprouvent aussi des défis d’embauche pour les profils de gestion intermédiaire (les postes de chef d’équipe et de superviseur de toutes les disciplines artistiques de la chaîne de production).

  • En jeu vidéo et en expériences numériques immersives : les entreprises cherchent à pourvoir des postes artistiques intermédiaires et séniors. Elles éprouvent un déficit au niveau des profils artistiques à fortes composantes techniques (comme les artistes en squelettage, les artistes techniques, les animateurs techniques et les directeurs techniques). Les studios signalent aussi des défis de recrutement pour des postes à l’extérieur des métiers graphiques 2D et 3D visés par l’offre de formation initiale couverte dans ce rapport, notamment, les programmeurs et les développeurs.


Les résultats des sondages réalisés auprès des ressources humaines d’entreprises stratégiques des trois secteurs démontrent que des entreprises de toute taille embauchent des diplômées et diplômés des programmes ciblés par l’enquête pour des postes d’entrée et juniors. 


Les résultats de la revue documentaire et des entretiens démontrent qu’un niveau assez variable de spécialisation est nécessaire à l’embauche pour ces postes selon la taille des entreprises et l’organisation de leurs chaînes de production. À cela s’ajoutent les changements technologiques et organisationnels constants et rapides des studios qui influencent les attentes des employeurs quant au niveau de maîtrise des disciplines artistiques que doivent détenir les postulantes et les postulants. Ce niveau peut varier d’un studio à l’autre. En général, les entreprises de toute taille soulignent qu’elles cherchent à engager des profils particuliers et s’attendent à ce que les compétences associées à ces derniers soient mises en valeur dans le portfolio de la candidate ou du candidat qui postule. 


La qualité technique et la qualité artistique du portfolio ainsi que les compétences comportementales des candidates et des candidats ont été identifiées comme les éléments les plus importants considérés par les recruteuses et les recruteurs.


Les changements technologiques et la formation de la relève

Les changements technologiques ont des impacts majeurs sur l’ensemble des maillons de la chaîne de production sur : la structure organisationnelle des entreprises; les tâches et les responsabilités des métiers et les compétences essentielles à leur réalisation; et les modèles d’affaires des organisations. On retient de l’ensemble de ces changements une propension à la vitesse croissante du rythme de production : allant de l’accélération de la vitesse d’exécution des tâches artistiques à la quantité sans cesse grandissante de contenus à produire. La recherche d’optimisation et d’efficacité est constante et a deux conséquences : l’automatisation de plus en plus présente des tâches manuelles non artistiques; et l’intégration d’outils permettant la génération procédurale de contenus numériques dans les processus de production.


Ces changements technologiques et organisationnels qui s’installent ont et continueront d’avoir une influence directe sur l’exercice des métiers et sur les compétences associées aux postes d’entrée et juniors visés par les programmes collégiaux et universitaires. Les transformations à surveiller sont :



  • La variété d’outils spécialisés pour chacune des familles de métiers : les studios sont maintenant équipés de plusieurs logiciels spécialisés de création et les utilisent pour effectuer les différentes étapes de la production. Les structures opérationnelles diffèrent grandement d’un secteur à l’autre, d’une entreprise à l’autre, voire, d’un projet à l’autre. Cela demande aux artistes juniors de savoir s’adapter aux logiciels utilisés dans le studio où ils ont été embauchés et d’avoir une connaissance transversale des processus et des chaînes de production. Pour cela, acquérir des connaissances sur les chaînes d’opération et développer une maîtrise des principes fondamentaux communs aux familles de logiciels employées pour les différentes tâches sont essentiels.

  • Les logiciels de création procéduraux, comme Houdini, Substance Painter, Substance Designer, Unreal et Unity, sont de plus en plus fréquemment utilisés dans les trois secteurs de la création numérique. Comme ces logiciels génèrent des images à partir de recettes (choisies en manipulant des paramètres mathématiques) et de banque d’objets, les compétences privilégiées pour les artistes novices sont : (i) la compréhension des tâches assignées par la supervision; (ii) la capacité d’analyse de l’image produite par le logiciel; (iii) le développement de l’œil artistique afin de repérer les retouches nécessaires et (iv) le développement des savoir-faire artistiques et techniques nécessaires à l’exécution des corrections requises.

  • L’intelligence artificielle (incluant l’apprentissage automatique et l’apprentissage profond) : intégrée de plus en plus par les grands studios en effets visuels, en animation et en jeu vidéo, l’intelligence artificielle automatise des tâches non artistiques répétitives afin d’optimiser le travail des artistes, par exemple, augmenter la taille et la résolution des images, nettoyer les images et autres.


 


Dans les prochaines années, l’intelligence artificielle va permettre d’automatiser de plus en plus les tâches répétitives simples comme la rotoscopie, les suivis de mouvement et de caméra (tracking et matchmove), certaines tâches d’animation et de composition, etc. Elle permettra aussi une plus grande part de création assistée. La mise en œuvre de ces nouvelles technologies exigera des compétences transversales accrues en collaboration afin de permettre le travail en équipes multidisciplinaires, alliant artistes, programmeurs et développeurs de ces nouveaux outils. 


À terme, les compétences les plus recherchées seront la capacité à développer une vision artistique, la capacité d’analyser des images et le sens de l’observation (œil artistique). Les développements en intelligence artificielle et leur rapidité d’implantation dans l’ensemble des entreprises de toute taille et de tout secteur sont, toutefois, difficiles à prévoir.



  • Les moteurs de jeu en temps réel : il s’agit d’un outil de plus en plus souvent utilisé dans les trois secteurs, et qui le sera davantage dans les années à venir. Si les moteurs de jeu étaient déjà des outils essentiels pour les artistes œuvrant en jeu vidéo, un bon nombre de productions en effets visuels et en cinéma d’animation les intègrent maintenant dans certains de leurs processus de production, notamment en production virtuelle (virtual production) et en prévisualisation. En effets visuels, par exemple, l’utilisation de moteurs de jeu (ou d’autres moteurs de rendu en temps réel) demande aux artistes de travailler avec de nouveaux outils et de s’adapter au mode de production en temps réel qui diffère de la production prérendue.


 


En expériences numériques, notamment en réalité virtuelle, l’utilisation des moteurs de jeu devient incontournable. Ainsi, apprendre à utiliser ces outils devient de plus en plus important, même au niveau des postes d’entrée et juniors, tous secteurs confondus.



  • Les technologies de capture de mouvement, de photogrammétrie et de numériseurs volumétriques : ces techniques et technologies de production sont largement employées dans les productions des trois secteurs. Les artistes doivent savoir les utiliser pour effectuer des tâches qui se situent, par exemple, en prévisualisation, en création d’environnements et de personnages, en animation, etc.

  • L’apparition de nouveaux modes de production comme la production virtuelle (virtual production) en effets visuels et en animation, le modèle des opérations en continu en jeu vidéo ou encore la production d’expériences de réalité étendue en expériences numériques immersives : l’apparition de ces nouvelles structures de travail implique d’étroites collaborations et du travail en équipes multidisciplinaires. La rapidité et l’efficacité d’exécution de tâches créatives sont également des compétences importantes pour tous les niveaux d’emplois.


Les besoins à combler par les programmes de formation collégiale et universitaire de premier cycle

Les besoins à combler pour l’offre de formation initiale vont de pair avec les constats quant aux exigences d’embauche des postes d’entrée et juniors, l’influence des changements technologiques sur les compétences et les pratiques des métiers graphiques 2D et 3D. Ces besoins sont les suivants :



  • Enseigner davantage de connaissances sur les différents milieux de travail : les chaînes d’opération et de production et les différents types de production des trois secteurs (particulièrement en expériences numériques immersives, un secteur actuellement peu desservi par l’offre de formation initiale déployée au Québec), de même que les rudiments de la gestion de production (budget, service client, etc.).

  • Miser sur l’acquisition d’habiletés interpersonnelles, comme la capacité d’adaptation, la collaboration et le travail d’équipe, l’esprit d’analyse, l’intelligence émotionnelle, l’empathie, la résolution de problème, la gestion du stress et la communication, incluant la capacité à recevoir et donner des rétroactions.

  • Développer davantage les compétences artistiques des étudiantes et des étudiants : développer le sens de l’observation (œil artistique); la capacité d’analyse des images; miser sur la maîtrise artistique des logiciels de création (plutôt que sur la seule maîtrise technique), de même que sur les compétences artistiques liées aux différentes fonctions de travail (dessin, anatomie, mouvement, etc.); favoriser la culture générale en histoire de l’art et des médias du monde.

  • Intégrer plus d’apprentissages techniques dans les cours : viser la maîtrise des outils actuellement employés dans les trois secteurs de l’industrie; introduire l’apprentissage mathématique essentiel à l’emploi des outils de création procéduraux; développer des bases sur les langages de programmation comme Python, C# et C++ afin de permettre aux artistes d’être autonomes dans la résolution de bogues simples.

  • Spécialiser les profils des étudiantes et étudiants afin de développer un haut niveau de compétences artistiques et techniques propres à des champs d’expertise particuliers (fonctions de travail), de même qu’une connaissance étendue des éléments fondamentaux qui se retrouvent dans les différents outils spécialisés employés par les entreprises.

  • Familiariser davantage les étudiantes et les étudiants avec les réalités du travail en entreprise afin qu’ils apprennent les différents processus de travail et différents types d’organisation : ils doivent développer ces aptitudes afin de s’adapter plus rapidement aux processus et aux structures organisationnelles des studios, écourtant ainsi la durée entre leur embauche et le moment où ils sont pleinement fonctionnels dans leur travail.


Les autres enjeux d’adéquation formation-emploi

Illustration: Cyril Doisneau

Le décalage entre l’offre de formation initiale et les besoins en entreprise a des causes multiples et complexes. À la lumière des réponses des intervenantes et intervenants, voici les points de friction que l’on relève :



  • Des canaux de communication et de maillage inégaux entre les institutions collégiales, les professeures et professeurs et les entreprises. Les connaissances des enseignantes et enseignants sur les besoins des entreprises dépendent principalement de leurs réseaux personnels de contacts : il en résulte un degré d’ouverture variable des studios sur le partage de renseignements sur leurs méthodes, leurs attentes et les outils qu’ils emploient. 

  • Un manque de budget et d’infrastructures dans les cégeps pour mettre en place des laboratoires avec des technologies de pointe (mise à jour du parc technologique) et la mise en place de studios de capture de mouvement (motion capture), de photogrammétrie ou de production virtuelle (virtual production).

  • Des lacunes sur le potentiel d’attraction des institutions collégiales pour recruter et retenir des personnes enseignantes provenant des entreprises : le salaire peu compétitif offert au corps enseignant et le manque de charges de cours pour les spécialités développées par les professionnelles et professionnels convoités sont des freins à l’adéquation formation-emploi. Ces ressources font partie des stratégies les plus souvent utilisées par les établissements collégiaux afin de communiquer avec le marché de l’emploi (par les réseaux de contacts) sur les besoins et les nouvelles pratiques des entreprises.

  • Des limitations pour le recrutement de professionnelles et professionnels provenant des studios dans certains établissements universitaires dues à des exigences d’embauches inflexibles pour les postes de professeure et professeur invités ou de chargée et chargé de cours.

  • Un manque de flexibilité administrative dans certains cégeps et universités qui empêche l’adoption rapide de changements pédagogiques dans les programmes de formation. Il est crucial pour les programmes de s’adapter promptement aux changements continuels des milieux de travail. La rigidité et le temps que requièrent les processus de validation des changements dans les programmes d’études accentuent l’écart perçu entre les contenus et les outils enseignés et les pratiques et les outils utilisés dans les studios des trois secteurs.

  • Des difficultés pour les enseignantes et les enseignants collégiaux à temps plein de dégager le temps nécessaire au perfectionnement professionnel et la mise à jour des connaissances des nouveaux outils et des nouvelles pratiques en entreprise, de même que les compétences artistiques et techniques.


 


Pistes de réflexion

Ce rapport propose des pistes de réflexion qui pourraient renforcer l’adéquation formation-emploi entre les programmes de formation collégiale et universitaire et les entreprises des trois secteurs ciblés. La collaboration, la concertation et la complémentarité entre les cégeps, les universités et SYNTHÈSE sont encouragées afin d’explorer ces idées.


Les pistes de réflexion sont les suivantes: 


Envisager la possibilité de développer des profils de spécialisation ou des concentrations spécifiquement conçus pour les différentes fonctions de travail accessibles aux diplômées et diplômés des programmes collégiaux et universitaires ciblés. Les données de l'enquête ont souvent évoqué que d’offrir une première année en tronc commun, pour ensuite développer une spécialisation lors des deux dernières années pourrait améliorer l’adéquation formation-emploi entre les programmes et le seuil d’entrée des entreprises. Cela permettrait aux étudiantes et aux étudiants de développer davantage les compétences artistiques et techniques nécessaires à leur employabilité pour la spécialisation choisie, tout en conservant une connaissance transversale et généraliste des autres étapes de production.


Valoriser les stages en entreprise : les apprentissages réalisés sur le marché du travail permettraient aux étudiantes et étudiants, entre autres, de se familiariser avec les processus de production et les flux de travail, de même que de développer les savoir-être inhérents à leur travail et à l’intégration d’une équipe en contexte d’apprentissage authentique. Cette valorisation de stages pourrait se faire par une transformation des formations collégiales et universitaires de premier cycle en programme d’alternance travail-études (ATE), permettant aux étudiantes et aux étudiants d’acquérir une expérience de travail rémunérée de 6 à 12 mois, de s’accoutumer aux réalités du marché du travail et à ses transformations. Pour que la mise en place de tels programmes soit possible, les studios des trois secteurs devront collaborer davantage à la formation de la relève, en concertation avec les établissements d'enseignement. En complément, le développement d’une plateforme de maillage entre les établissements d’enseignement supérieur et les entreprises spécifiquement conçue pour la création graphique 2D et 3D pourrait rendre les stages plus accessibles aux étudiantes et aux étudiants des programmes ciblés dans cette enquête.


Aborder les connaissances et les méthodes de travail propres aux trois secteurs : des effets visuels et de l’animation, du jeu vidéo et des expériences numériques immersives. Il faudrait une meilleure représentation des trois secteurs au sein de l’offre de formation initiale actuellement disponible. Deux pistes de solutions pourraient être explorées avec les institutions d’enseignements: i) adapter la structure des programmes existants afin d’aborder la création numérique 2D et 3D au sens large (incluant les exigences des trois secteurs); ii) créer de nouveaux programmes de formations spécialisés pour chacun des secteurs, notamment en développant de nouvelles offres de formation pour le secteur des expériences numériques immersives.


Développer des canaux de communication et des activités de maillage structurées afin d’homogénéiser l’accès aux informations des entreprises des trois secteurs pour les établissements collégiaux et universitaires. L’organisation de stages continus en entreprise et du mentorat pour les enseignantes et les enseignants des institutions d’enseignement supérieur développerait une communication plus soutenue avec les milieux de travail et, du même coup, permettrait le perfectionnement et la mise à jour des compétences du corps enseignant sur les outils et les pratiques des studios.


Développer un centre de technologies en expérimentation qui serait partagé par les institutions d’enseignement (cégeps et universités) et les entreprises afin d’élargir de façon importante l’accès aux laboratoires, aux équipements et aux technologies de pointe. Grâce à cette solution qui mettrait ces ressources toujours actualisées à la portée de tous et toutes, il n’y aurait aucun besoin de munir chaque établissement d’enseignement de laboratoires spécialisés en capture de mouvement, en photogrammétrie ou en production virtuelle (virtual production). La mise en place d’un tel laboratoire permettrait également la collaboration de ces organisations au sein de projets de recherche, notamment en intelligence artificielle, dont tous les acteurs en création numérique pourraient bénéficier.


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