Formation
Jeux vidéo
Effets visuels et animation 2D-3D
Expériences numériques

Travailler en création numérique : évolution des métiers graphiques 2D-3D et enjeux de formation

5.3.Les enjeux d’adéquation formation-emploi pour les programmes d’études collégiales et de premier cycle universitaires

Cette section propose un état des lieux de la perception de la qualité de l’offre de formation initiale offerte. Les besoins à combler par le programme seront précisés, de même que les points de friction entre les différents acteurs et actrices qui nuisent à l’efficacité du développement et de la mise à jour des formations actuellement dispensées dans les établissements d’enseignement supérieur au Québec. 


L’analyse des besoins et des points de friction est issue de la triangulation entre la collecte documentaire, les réponses données par les intervenantes et les intervenants des trois secteurs de l’industrie et les entretiens semi-dirigés réalisés avec les enseignantes et enseignants des programmes énumérés dans les tableaux 5 et 6.


5.3.1.État des lieux de la perception de la qualité des programmes de formation initiale

Les différents rapports et profils de l’industrie consultés lors de la collecte documentaire signent un portrait peu reluisant de la qualité des formations initiales déployées au Québec. Les écrits déplorent la désuétude de certaines plateformes ou logiciels enseignés (Fragata, Gosselin et Desjardins 2018, 48), soulignent le manque de souplesse des programmes de formation face aux transformations rapides de l’industrie et à l’apparition fréquente de nouveaux métiers (Forum Numix 2021, 2; Fragata, Gosselin, et Desjardins 2018, 48) ou insistent sur l’insuffisance de spécialisation parmi les diplômées et les diplômés, ce qui nuit à l’employabilité de ces derniers dans les studios (surtout en effets visuels et en animation) (Côté et Pilon 2016, 40). Le Diagnostic des besoins de main-d’œuvre et d’adéquation formation-emploi : secteur des effets visuels et animation indique à cet effet que cette lacune a poussé les studios du secteur à créer leur propre école de mise à niveau et à n’engager que des profils ayant un minimum d’un an d’expérience sur le marché du travail (pour 90 % des entreprises consultées), ou bien à recruter des diplômées et diplômés de programmes de formation de l’étranger (Côté et Pilon 2016, 40‑41).


Or, les entretiens menés auprès des professionnelles et professionnels des trois secteurs interrogés dans le cadre de cette enquête dressent un portrait de la qualité des formations initiales qui se veut plus encourageant : l’ensemble des actrices et acteurs, tous secteurs et toutes formations confondus, énoncent que leur formation initiale leur a permis de bien se développer sur le marché du travail. Ils soulignent également que les formations actuellement déployées fournissent de bonnes bases aux étudiantes et étudiants. 


Un groupe de spécialistes du MEGAMIGS (de septembre 2020) a souligné une nette amélioration des programmes de formation au cours des dernières années. Ces spécialistes saluent le développement de nouveaux programmes d’études pour combler les besoins des nouveaux métiers. Ils saluent également la plus grande synergie qui se dessine entre les établissements d’enseignement et les studios, menant ainsi à une relève plus apte à répondre aux exigences du marché du travail (Chancey et al. 2020). Quelques répondantes et répondants du secteur du jeu vidéo ont aussi abondé dans ce sens, mentionnant le progrès de la qualité de la formation des finissantes et finissants perçu depuis les cinq dernières années. Par exemple, un professionnel compare la formation qu’il a reçue il y a de nombreuses années avec celle des étudiantes et des étudiants d’aujourd’hui : 


« Fait que c'est sûr qu'aujourd'hui, c'est [la formation] beaucoup plus structurée, ils ont une meilleure maîtrise de... une meilleure connaissance de tout ce qu'on a appris [...]. Ça fait des meilleurs professionnels, aujourd'hui, je pense.

Malgré cette amélioration, des professionnelles et professionnels des trois secteurs répertorient certaines lacunes à combler qui font écho aux manques qui ont été soulignés dans les sources de la collecte documentaire. Les répondantes et répondants insistent sur le manque de souplesse perçu dans l’adaptation des programmes de formation devant les changements rapides et constants de l’industrie et le manque de liens concrets entre les formations (jugées trop abstraites) avec les réalités du travail en entreprise. Les participantes et participants qui proviennent de grands studios des secteurs des effets visuels et du jeu vidéo soulignent également le manque de spécialisation des personnes diplômées des programmes collégiaux et universitaires. Toutefois, cet aspect semble être un enjeu de moindre importance pour les répondantes et répondants du secteur des expériences numériques immersives et des studios de jeu vidéo de taille plus modeste, qui disent préférer des candidats à la fois plus polyvalents qui sont tout de même capables de se démarquer dans un champ de spécialisation. Ces besoins seront abordés plus en détail dans la section 5.3.2.2.


Embauche : quelle différence entre les formations collégiales et universitaires?

Un nombre restreint de professionnelles et de professionnels ont abordé la question de la préférence entre l’embauche de personnes diplômées de programmes de formation collégiale ou de programmes de formation universitaire. La majorité d’entre eux a indiqué que le niveau du diplôme obtenu par une candidate ou un candidat n’était pas un critère déterminant lors du processus de recrutement. La décision d’embauche se base avant tout sur l’expérience de travail et sur le portfolio : la postulante ou le postulant doit démontrer le niveau d’aptitudes et de talent requis pour le poste auquel elle ou il aspire. Ces données font écho aux résultats pondérés sur l’ordre d’importance des critères d’embauches des sondages distribués aux représentantes et représentants des ressources humaines (chapitre 3) : la qualité technique du portfolio, les compétences comportementales et la qualité artistique du portfolio ont été classées dans les trois premières positions, alors que le programme et l’établissement d’enseignement desquels proviennent les artistes juniors se sont retrouvés dans les deux dernières (voir section 3.2.1.) 


Si la formation reçue n’est pas un critère déterminant lors du processus général d’embauche, certains répondants et répondantes du secteur des effets visuels et de l’animation précisent toutefois qu’à candidatures équivalentes, la personne ayant le plus haut niveau de formation sera priorisée, car cette dernière a l’avantage de détenir des connaissances plus approfondies du métier. Selon un des professionnels en effets visuels interrogé : 


« [...] à deux personnes que ça se ressemble, je vais y aller avec la personne qui est meilleure. Fait que c'est pour ça que les études là-dedans, ça va faire une différence, en fait… [...] [i]l y a quelqu'un qui s'en vient dans le programme puis qui fait le programme de *comp* intensif de trois mois versus quelqu'un qui a fait le programme de trois ans, je priorise tout le temps le groupe de trois ans. [...] [Celui] qui a fait le programme intensif, oui, il fait un peu de roto puis de *paint,* mais il voit juste une affaire. Quand on compare ces deux personnes-là, je cherche... j'en ai engagé, mais pas beaucoup, du programme de *comp*, puis j'en engage beaucoup plus du programme *full* du NAD. Pour moi, à personnes égales, c'est sûr que je vais engager celle qui a le plus de connaissances que l'autre.

5.3.2.Les besoins à combler en formation initiale

Les besoins à combler qui ont été évoqués par l’ensemble des données recueillies au cours de l’enquête ont été divisés en deux catégories : les connaissances et les aptitudes à développer pour répondre aux lacunes ou aux besoins actuels qui ont été énoncés par les actrices et les acteurs consultés (5.3.2.1.); et les structures pédagogiques de plus haut niveau à mettre en place au sein des programmes (5.3.2.2.).


5.3.2.1.Les connaissances et les aptitudes à développer

Les connaissances et les aptitudes regroupées dans cette section sont extraites des besoins en formation initiale qui ont été soulignés par l’ensemble des actrices et des acteurs des trois secteurs et dans la documentation disponible.


Enseigner des connaissances sur le marché du travail adaptées aux chaînes de valeur des trois secteurs

Résonnant avec la critique du manque de liens concrets entre les programmes de formation et les réalités des entreprises, les répondantes et répondants des trois secteurs ont identifié des enjeux que ce rapport regroupe dans deux types de connaissances : des savoirs sur la chaîne d’opérations et des connaissances sur les modèles d’affaires des trois secteurs.


Développer les savoirs sur les chaînes d’opérations (pipelines)

Quelques professionnelles et professionnels en effets visuels et animation et en expériences numériques immersives identifient le besoin d’enrichir les connaissances sur les chaînes d’opérations des studios. Si les répondantes et répondants en effets visuels et animation insistent sur les connaissances des structures organisationnelles propres à leur secteur, en expériences numériques immersives on insiste sur le développement de connaissances sur l’ensemble des trois secteurs afin d’assurer que les diplômées et diplômés soient plus polyvalents. Comme le dit une répondante :


« Selon moi, je pense que c’est… peut-être que c’est un peu nécessaire de parler [des] *pipelines* des grosses boîtes. [...] Puis c’est mieux [de faire] des *showcases* au lieu de juste dire des principes. Au lieu de faire ça, je pense que c’est mieux de faire un cours comme ça: avec [des] *pipelines* de chaque studio. Tu dis : dans le jeu vidéo, on a un *pipeline* comme ça; en VFX on fait comme ça; en animation, on a d’autres choses.

Les connaissances sur les chaînes d’opérations des studios ont aussi été mentionnées comme un besoin à combler par la formation initiale dans la documentation (voir Côté et Pilon 2016, 40).


Miser sur la connaissance des modèles d’affaires et des bases en gestion

Le développement des connaissances quant aux modèles d’affaires des entreprises en expériences numériques immersives a aussi été un besoin souligné par la documentation recensée pour la présente enquête. Dans le contexte où le secteur regroupe un large éventail de modèles d’affaires (les expositions immersives, la scénographie augmentée, les expériences en réalité virtuelle, augmentée, etc.), la Synthèse générale des enjeux et recommandations rédigée suite au Forum Numix (22 mars au 20 mai 2021) reproche aux programmes actuels d’être « trop cloisonnés en fonction des besoins de certains secteurs dominants dans l’industrie de la créativité numérique (les jeux vidéo principalement) » (Forum Numix 2021, 2). Comme les artistes juniors formés dans les programmes ciblés dans ce rapport sont appelés à travailler dans ce secteur, l’acquisition de connaissances sur les réalités propres aux expériences numériques immersives serait essentielle pour former la relève.


Des professionnelles et professionnels en expériences numériques immersives et en effets visuels et animation affirment qu’il est important pour les étudiantes et étudiants d’obtenir des connaissances de base en gestion de production, que ce soit sur les grands principes de la gestion de budget, ou des relations avec les clients. Comme l’indique un répondant de ce secteur :


« Qu’est-ce que les jeunes manquent présentement quand ils arrivent dans l’industrie ? Une compréhension du marché, une compréhension de la *business,* il y a des gens qui me disent : “oui, mais c’est facile, engage plus de monde !” Je leur dis : “tu ne comprends pas le concept financier d’engager plus de monde, de mettre plus d’argent”. [...] Donc, c’est pas nécessairement de tomber dans des cours de *business* ou de chiffres, mais il faut qu’ils comprennent c’est quoi l’industrie. Je pense que les jeunes ne comprennent pas c’est quoi l’industrie, ils ne comprennent pas c’est quoi un client et qu’un client peut demander des *retakes,* tu sais. C’est quoi la *business*? Je pense que la *business* n’est pas bien comprise et ça manque grandement à une compréhension globale et générale.
Développer davantage les compétences interpersonnelles

Les résultats de l’enquête concernant les compétences essentielles aux métiers graphiques 2D et 3D insistaient particulièrement sur l’importance des savoir-être dans l’exercice de la profession. Les résultats des entretiens des professeures et professeurs collégiaux et universitaires abondaient aussi dans ce sens, en accord avec plusieurs sources documentaires. 


Lorsque les professionnelles et professionnels des trois secteurs se sont exprimés sur les besoins en formation initiale, plusieurs d’entre elles et eux ont indiqué que les programmes d’études devraient développer davantage les compétences comportementales chez les étudiantes et les étudiants. Les besoins à combler sont de l’ordre de l’intelligence émotionnelle, de l’empathie (compétence essentielle mentionnée à la section 5.2.1.), de la communication (également à la section 5.2.1.) et de la gestion des conflits interpersonnels. Certains intervenants et intervenantes en effets visuels et animation et en jeu vidéo soulignent aussi que les programmes devraient enseigner à la relève à recevoir et formuler des rétroactions (compétence essentielle également mentionnée par les personnes travaillant en jeu vidéo [5.2.3.]).


Illustration: Cyril Doisneau
Une insistance particulière sur les aptitudes en travail d’équipe

Parmi l’ensemble des compétences jugées essentielles par les professionnelles et professionnels des trois secteurs, le développement d’aptitudes en travail d’équipe a souvent été mentionné comme un besoin de formation initiale à combler. En effet, plusieurs répondantes et répondants des trois secteurs, la majorité des professeures et des professeurs, ainsi que de nombreuses sources de la collecte documentaire s’entendent pour dire qu’il est nécessaire de développer davantage les compétences en collaboration et en travail d’équipe chez les étudiantes et les étudiants. Cette habileté est cruciale pour les emplois au sein de petites et moyennes entreprises : les équipes plus petites sont interdisciplinaires, ce qui implique un usage important d’habiletés interpersonnelles comme l’empathie et la vulgarisation de sa pensée. Par exemple, un professionnel en expériences numériques immersives explique que les étudiantes et les étudiants devraient apprendre les bases du travail d’équipe et développer les compétences interpersonnelles qui y sont nécessaires. Il déplore le fait que le travail d’équipe est souvent mis en place dans les programmes, mais sans que ces aptitudes ne soient développées. Il explique :


« [...] à mon avis il y a un gros facteur qui est pas vraiment… qui, en fait, est inculqué uniquement quand tu t’y intéresses – alors que c’est quelque chose qu’il faudrait, à mon avis, inculquer à tout le monde (probablement à différents degrés) – c’est plus l’aspect travail d’équipe. […] C'est-à-dire qu'on n’apprend jamais à travailler en équipe ou alors c’est *force feedé.* On n’apprend pas aux gens à travailler en équipe. On les fait travailler en équipe, mais on ne leur apprend pas la sociologie, la complexité de travailler en équipe.

Comme le travail d’équipe est une partie intégrante de tous les métiers graphiques 2D et 3D, peu importe le secteur, plusieurs professeures et professeurs se joignent aux professionnelles et professionnels de l’industrie pour affirmer qu’il serait essentiel d’intégrer les compétences en travail d’équipe dans les lignes directrices des programmes. Par exemple, selon un enseignant du programme DEC Techniques d’animation 3D et de synthèse d’images, cette aptitude et d’autres devraient être ajoutée au devis ministériel :


« [...] il y a des compétences qui sont attendues dans l'industrie qui ne sont pas dans le devis ministériel. Gestion de temps, gestion de projet et de priorités, intégrer une équipe multidisciplinaire, parce que le travail d'équipe est nécessaire, et on n’en parle pas dans ce devis.

Malgré l’importance des compétences en travail d’équipe, des répondantes et répondants en effets visuels émettent toutefois la mise en garde qu’il reste important pour les étudiantes et les étudiants de travailler sur des projets qui peuvent témoigner de leur niveau de maîtrise des compétences artistiques et techniques. Cet aspect a aussi été souligné dans la documentation (Côté et Pilon 2016, 17).


Viser la maîtrise des compétences artistiques

La collecte de données documentaires indique, particulièrement pour le secteur des effets visuels et de l’animation, qu’il est essentiel d’augmenter le contenu en compétences artistiques (que ce soit au niveau du dessin, de l’anatomie, du mouvement ou de l’histoire de l’art) pour les différents corps de métier. Elle cerne également un besoin quant à l’approfondissement de la maîtrise artistique des logiciels de création, pour faire en sorte que l’usage des logiciels dépasse la seule maîtrise technique de l’outil (Côté et Pilon 2016, 91).


Le développement d’une culture générale de l’image et du monde (notamment en histoire de l’art et des médias) a également été mentionné comme des lacunes à combler par certains intervenants et intervenantes des secteurs du jeu vidéo et des expériences numériques immersives. À cela, quelques artistes en expériences numériques immersives ajoutent le besoin de développer les compétences des étudiantes et des étudiants en direction photo pour des productions entièrement créées en images de synthèse.


Illustration: Cyril Doisneau

L’œil artistique et la capacité d’analyse des images sont des compétences de plus en plus convoitées par les employeurs de tous les secteurs. Dans les trois secteurs, on souligne un besoin de développer davantage cette aptitude auprès de la relève étudiante. Par exemple, une professionnelle d’un studio en effets visuels estime qu’il est plus difficile d’inculquer le sens de l’observation aux artistes juniors sous sa supervision que de leur apprendre à maîtriser les outils techniques que ceux-ci ou celles-ci ne sauraient pas déjà utiliser. En faisant référence à ce que les programmes de formation initiale devraient prioriser, elle explique : « [...] d’après moi le côté artistique est nettement plus important que le côté technique. […] Houdini… ça s’apprend. Je veux dire… mais l’œil artistique ça ne s'apprend pas, puis je pense qu’il manque beaucoup, beaucoup de ça dans les formations ».


Suivant la présence de plus en plus importante de logiciels de création procéduraux dans les studios des trois secteurs et de l’implantation graduelle de l’intelligence artificielle dans les outils de travail artistique, on anticipe que le besoin de développer l’œil artistique et la capacité d’analyse des images auprès de la relève deviendra encore plus saillant. En effet, comme il a été abordé dans les sections 4.1.1.5., 4.3.1. et 4.4.2. de ce rapport, ces outils demandent aux artistes juniors de savoir reconnaître les défauts dans les images ou les objets générés par ces logiciels afin d’y ajouter les retouches nécessaires. De nombreux professionnels et professionnelles des trois secteurs, ainsi que plusieurs professeures et professeurs estiment qu’il sera nécessaire pour les programmes de formation de développer davantage la capacité d’analyse et le sens de l’observation chez les étudiantes et les étudiants.


Plusieurs répondantes et répondants des trois secteurs et la majorité des enseignantes et enseignants interrogés sont d’avis que les compétences artistiques et l’apprentissage des éléments fondamentaux des logiciels de création sont plus importants que la maîtrise technique d’outils spécifiques. Les studios des trois secteurs n’utilisent pas tous les mêmes outils, et ces derniers sont appelés à changer rapidement (que ce soit par les mises à jour continuelles, ou par l’adoption de nouvelles technologies). En conséquence, les artistes de tous les milieux doivent constamment s’adapter, et les programmes de formation doivent préparer les personnes diplômées à ces réalités. À ce sujet, un répondant en expériences numériques immersives souligne :


« [...] il faut que tu comprennes la 3D, si tu comprends la 3D, les bases de la 3D, après ça tu pourras utiliser les logiciels, mais j’ai comme l’impression que souvent, on te montre de A à Z Houdini, puis là, t’arrives sur le marché du travail, puis non, c’est Maya que tu dois utiliser. Ça ne te donne rien d’être un spécialiste Houdini s’il faut que tu comprennes c’est quoi que tu vas faire.

De plus, de manière générale, les différents changements technologiques en cours et à venir (déjà abordés dans le chapitre 4) soutiennent la tendance à l’accélération constante du rythme de production, et ce, dans les trois secteurs. Les innovations qui affectent le travail des artistes cherchent à augmenter la quantité de contenu produit, tout en diminuant le temps nécessaire à leur création. En conséquence, on demande aux artistes de tous les métiers et de tous les niveaux de s’adapter rapidement aux rétroactions reçues et d’augmenter l’efficacité de leurs méthodes de travail. Ce contexte rehausse les attentes des recruteuses et des recruteurs quant au niveau de productivité que doit détenir une ou un artiste récemment diplômé, et demande donc aux programmes collégiaux et universitaires de former les étudiantes et les étudiants à travailler rapidement et à s’adapter promptement aux commentaires reçus sur la qualité de leur travail.


Aborder de nouvelles compétences techniques

Les trois secteurs de l’industrie reposent en grande partie sur les innovations technologiques de pointe et soulignent l’importance de développer davantage les compétences techniques dans les programmes : les étudiantes et étudiants doivent maîtriser les outils actuellement utilisés sur le marché. Cela exige de la part du corps enseignant et des formations offertes une adaptation rapide aux types et au rythme de changements observés dans l’industrie. 


Illustration: Cyril Doisneau

Parmi les changements technologiques en cours qui ont une influence sur les compétences à développer chez les étudiantes et les étudiants est l’utilisation de plus en plus importante de logiciels procéduraux. Ceux-ci exigent le développement de compétences mathématiques de la part des artistes, notamment sur les principes de paramètres fonctionnant sous des logiques nodales. Détenir des compétences techniques développées est un critère d’embauche de plus en plus important pour les artistes des entreprises en jeu vidéo (Corbeil, Malouin et Khamassi 2016, 18).


Des professionnelles et professionnels des trois secteurs révèlent l’importance de développer les bases des différents langages de programmation Python, C# et C++ dans les programmes de formation initiale. La maîtrise de ces outils engendrerait des artistes 3D plus autonomes en résolution de problèmes (débogage) et permettrait à ces derniers de s’adapter plus facilement aux changements technologiques à venir. En jeu vidéo, alors que l’on souligne des difficultés d’embauche pour des postes comme ceux d’artiste technique ou de directeur technique, certains répondants et répondantes disent que le développement de programmes de formation orientés davantage sur ce type de compétences techniques permettrait de susciter l’intérêt de la relève étudiante pour ces professions en demande.


5.3.2.2.Les structures pédagogiques à mettre en place
Une plus grande spécialisation des programmes de formation

L’ensemble des données de l’enquête indique qu’il existe un besoin criant de renforcer la spécialisation des programmes de formation initiale. Toutefois, les niveaux de spécialisation qui devraient être atteints, lorsqu’ils sont précisés par les actrices et acteurs, ne sont pas uniformes.


Dans les trois secteurs couverts, la taille des entreprises influence les besoins en main-d’œuvre et en spécialisation, ce qui fait varier les niveaux recherchés pour décrocher des emplois d’entrée dans les studios.


La spécialisation pour les grands studios

Les entreprises de grande taille ont une chaîne de production segmentée en départements, ce qui occasionne des demandes en main-d’œuvre très spécialisée (voire surspécialisées). Les candidats qui postulent dans les grands studios doivent avoir développé un niveau de spécialisation suffisant, et donc avoir dépassé le niveau généraliste actuellement visé par de nombreux programmes de formation initiale (dont les formations collégiales) (Corbeil, Malouin et Khamassi 2016, 25; Côté et Pilon 2016, 37, 41). Par exemple, comme l’indique un répondant d’un studio en effets visuels : « maintenant, dans l’industrie, tout le monde est tellement spécialisé qu’on aurait envie de dire à l’école : “vous devriez spécialiser vos étudiants plus tôt, pour qu’ils aient le temps d’apprendre une spécialité assez quand ils sortent du bac” ». Malgré le besoin d’une plus grande spécialisation, les répondantes et répondants de grands studios en effets visuels soulignent tout de même qu’il est essentiel que les étudiantes et étudiants développent une bonne compréhension de l’ensemble des métiers de la chaîne de production afin de saisir la nature et les effets de leur travail sur l’ensemble du projet.


La spécialisation pour les studios de petite et de moyenne taille

Les entreprises de moyenne et de petite taille cherchent aussi des candidates et des candidats avec un certain niveau de spécialisation, tout en demandant à ces derniers d’être polyvalents afin de maintenir leur employabilité dans les différentes phases des projets. Comme les productions plus modestes impliquent un travail d’équipe multidisciplinaire qui suit les étapes de production (plutôt qu’une organisation en départements), les studios cherchent des candidats qui ont développé un niveau de maîtrise suffisant pour être en mesure de travailler sur l’étape de production qui précède et l’étape qui suit le champ d’expertise que ceux-ci ont choisis. Les données de l’étude soulignent tout de même la nécessité de se démarquer dans un domaine. D’ailleurs, selon un professionnel d’un studio de jeux vidéo, la nécessité de spécialiser les programmes de formation initiale est bien présente, mais ces derniers devraient tout de même viser le développement des compétences propres à plusieurs spécialités afin de garantir l’employabilité de leurs diplômées et diplômés. En se mettant à la place d’une étudiante ou d’un étudiant, il explique : 


« Faut aussi un moment donné… ben si on ne cherche pas ma spécialité, je vais peut-être avoir du mal [à trouver un emploi]. Donc on ne peut pas, un peu comme tout à l’heure je disais avec les 100 points, on ne peut pas dire : “je suis spécialiste, j’ai mis 90 points là-dedans, et non je suis nul dans le reste”. Donc, trouver cette balance, c’est pas forcément évident.
La spécialisation doit être mise en valeur dans le portfolio

Le portfolio étant un élément important du processus d’embauche, les participantes et participants indiquent que les personnes qui posent leur candidature pour des postes dans les studios (de toute taille) ont intérêt à orienter leurs réalisations sur les compétences spécialisées du métier pour lequel ils postulent. Les employeurs remarquent que les portfolios des candidats moins expérimentés sont souvent trop généralistes.


Vers la mise en place de voies de spécialisation dans les cégeps

La spécialisation des programmes de formation collégiaux fait déjà partie des stratégies d’adéquation formation-emploi de certains cégeps. La plupart des enseignants s’entendent pour dire que l’implantation de voies de spécialisation ou de profils dans le devis ministériel qui inclurait une année de tronc commun serait une avenue souhaitable pour favoriser l’adéquation formation-emploi entre le programme et les besoins actuels et futurs de l’industrie. Par exemple, un enseignant indique : « Il devrait y avoir une espèce de tronc commun obligatoire avec des sections de compétences spécialisées, comme il y en a en informatique ou en technologies de l’information (par exemple, gestionnaire réseau, programmation pour applications mobiles, etc.) ». Offrir un DEC de quatre années plutôt que de trois a parfois été mentionné comme une avenue qui permettrait aux établissements d’enseignement de développer les spécialisations requises à l’employabilité d’un plus grand nombre de finissantes et de finissants dans les postes d’entrée.


Intégrer les stages et le mentorat dans les programmes

« Si j’avais pas eu de stage, écoute, j’aurais pas été à 60 % de mes compétences.

Comme il a été mentionné plus haut, les professionnelles et professionnels des trois secteurs, de même que les enseignantes et enseignants consultés, indiquent souvent que les étudiantes et les étudiants ne sont pas suffisamment en contact avec l’industrie durant leur formation. Les stages et la participation plus soutenue de professionnelles et professionnels de l’industrie dans les programmes de formation initiale (par la supervision de projets et le mentorat) ont été évoqués à maintes reprises comme des moyens à mettre en œuvre pour pallier la situation décrite à la section 5.3.1. Les professionnelles et professionnels ayant bénéficié de stages dans leur formation initiale en vantent les mérites : ils donnent de la valeur aux apprentissages car ils permettent d’effectuer le passage entre les savoirs et les savoir-faire acquis à l’école et les tâches à effectuer sur le marché du travail; ils augmentent la motivation à poursuivre les programmes de formation; ils favorisent le développement des savoir-être et l’apprentissage des procédés, de la chaîne de production et de la culture d’entreprise. La mise en œuvre de stages est aussi soulignée dans la documentation (portant sur l’adéquation formation-emploi) comme une solution à mettre en place afin d’améliorer les programmes de formation (Côté et Pilon 2016, 91; Quintas 2016, 33). 


Les bénéfices ont été relevés par l’ensemble des professeures et professeurs dont les programmes de formation intègrent la possibilité de stages au sein de leur cursus. Les enseignantes et enseignants de ces programmes soulignent cependant plusieurs points de friction qui freinent la mise en place d’une alternance travail-étude systématique. Ils évoquent : (i) le manque de temps qu’ils éprouvent déjà pour former adéquatement les étudiantes et les étudiants sur les compétences et les outils; (ii) l’arrimage difficile entre le calendrier scolaire et celui de la production dans les studios; (iii) les contraintes régionales pour les établissements d’enseignement à l’extérieur du Grand Montréal; (iv) la difficulté de mise en place d’un suivi et de l’évaluation des apprentissages réalisés en stages; (v) le manque de maillage personnel entre les enseignantes et enseignants et les studios qui limite les capacités de placement des élèves; (vi) le manque de temps des artistes en entreprise pour accompagner les stagiaires lors de leur stage.


Sur ce dernier point de friction, un répondant travaillant dans le secteur des expériences numériques immersives a formulé une recommandation. Selon lui, les avantages des stages en entreprises sont indéniables, mais, devant la situation, la solution d’adéquation formation-emploi à privilégier par les programmes de formation devrait plutôt être la mise en place de supervision et de mentorat effectués par des professionnelles et professionnels au sein de projets scolaires. Selon lui : « [...] les stages c’est difficile, parce que les expertes et experts n’ont pas le temps. Donc, je pense que c’est du mentorat, c’est plus que des stages. Des stages, c’est si la compagnie a le temps. Mais du mentorat, je pense que c’est ça qui aurait… des tests, des mentorats, des projets ». Ainsi, privilégier le mentorat aurait l’avantage de prendre moins de temps aux expertes et experts en entreprise et de fournir aux étudiantes et étudiants un point de contact avec les milieux de travail. Cette solution est également présentée dans la documentation (voir Quintas 2016)[^3].


[^3]: Peu de professionnelles et professionnels interrogés se sont exprimés sur le sujet, car la faisabilité de la mise en place de stages en entreprise n’a pas été abordée dans le questionnaire d’entretien.


5.3.3.Les besoins et les points de friction qui limitent l’adéquation formation-emploi

Les points de friction qui nuisent à la mise en place de programmes de formation en adéquation avec les besoins de l’industrie dépassent les éléments soulignés au sujet des difficultés d’implantation des stages. On répertorie des freins au niveau du maillage entre les établissements et les entreprises et entre les établissements collégiaux et universitaires (5.3.3.1); des besoins à combler d’ordre infrastructurel et d’ordre organisationnel (5.3.3.2); et des déficits en formation continue du personnel enseignant des programmes de formation (5.3.3.3).


5.3.3.1.Les besoins en maillage
Les besoins en maillage entre le corps enseignant et les entreprises

L’établissement d’un dialogue continu, la mise en place de canaux de communication structurés, ainsi que la planification en amont des programmes en concertation entre les différents acteurs et actrices des entreprises et des établissements d’enseignement seraient la pierre angulaire de l’adéquation souhaitée entre les programmes de formation et les besoins des entreprises (Chambre de commerce du Montréal métropolitain 2018, 49; KPMG 2017, 25‑26; Corbeil, Malouin et Khamassi 2016, 19; Côté et Pilon 2016, 90; Quintas 2016, 33).


Illustration: Cyril Doisneau

Toutefois, la mise en place de ces mesures rencontre des limitations et des frictions soulignées de part et d’autre. Selon l’ensemble des données de l’enquête :



  • L’évolution rapide des technologies et des logiciels utilisés en entreprise complique la mise à jour des programmes et du personnel enseignant. Il s’agit d’un défi majeur pour la formation initiale pour tous les secteurs de la création numérique, identifié à maintes reprises dans les données documentaires recensées dans cette enquête (Forum Numix 2021, 2; Godin et al. 2020; Chambre de commerce du Montréal métropolitain 2018, 48; KPMG 2017, 25; Corbeil, Malouin et Khamassi 2016, 19; Quintas 2016, 33). Cet aspect est aussi perçu comme un manque de flexibilité par certains des répondantes et répondants des trois secteurs et accentue le décalage entre les cours des formations initiales et les transformations continues des entreprises. 

  • Le secret d’industrie et le manque de partage d’informations sur les technologies et les pratiques mises en place freinent le maillage entre les studios (particulièrement en jeu vidéo) et les programmes de formation, rendant difficile l’adéquation entre le contenu des cours avec les réalités des entreprises. Par exemple, selon un enseignant interrogé :


« Savoir les grandes lignes de comment les gens travaillent dans l'industrie, c'est très difficile d'avoir accès à ça. Entre autres, parce qu'il est question de non-divulgation. Ils n'ont pas le droit de nous donner ces informations, généralement. Ça, c'est le gros problème que je peux avoir. Ce serait le fun d'avoir continuellement un contact direct avec des représentants de différents secteurs de l'industrie.

  • Le manque de canaux de communication structurés entre les entreprises et le corps enseignant occasionne des inégalités de maillage entre les programmes et les studios (Chambre de commerce du Montréal métropolitain 2018, 48; KPMG 2017, 25‑26; Corbeil, Malouin et Khamassi 2016, 19; Côté et Pilon 2016, 90). Le dialogue entre les enseignantes, les enseignants et les entreprises repose en grande partie sur le réseau de contacts personnels des formateurs. Cette situation fait écho à l’obligation de secret des studios qui nuisent à l’établissement d’une communication efficace des besoins et des changements adoptés par les entreprises. En lien avec cette disparité, des professionnelles et professionnels de plus petits studios d’animation déplorent le manque de diversité d’expertise de certains programmes de formation, leur reprochant d’être trop souvent basés sur les besoins des studios partenaires.

  • Les exigences d’embauche de plus en plus élevées des postes de niveaux d’entrée et junior dans les studios rendent difficile la conjugaison entre les impératifs pédagogiques des programmes de formation, le niveau de départ des étudiantes et des étudiants, et le développement du niveau de maîtrise attendu des compétences pour que les diplômées et diplômés soient pleinement fonctionnels au moment de leur embauche. Des professionnelles et professionnels des secteurs des effets visuels et de l’animation et du jeu vidéo ont souligné que les attentes des employeurs quant à la maîtrise des outils et des logiciels de création par les finissantes et finissants des programmes de formation ont effectivement augmenté depuis les dernières années à cause de la plus grande accessibilité des outils et des ressources sur internet. Les studios de ces secteurs s’attendent à ce que les artistes juniors soient plus autonomes qu’auparavant, car ils estiment que ceux-ci ont la possibilité d’être autodidactes dans leur apprentissage, et de trouver eux-mêmes les solutions aux problèmes qu’ils rencontrent. Les enseignantes et enseignants, notamment des programmes collégiaux, ont souvent mentionné que le niveau élevé de maîtrise attendu à l’embauche pour les postes d’entrée dans les studios était l’une des difficultés avec lesquelles ils doivent conjuguer. Par exemple, un des professeurs interrogés souligne l’inadéquation entre les attentes de l’industrie et les enjeux pédagogiques de son programme :


« Les attentes [de l’industrie] sont peut-être souvent trop élevées par rapport à ce qu’on a le temps de faire. L'industrie ne connaît pas toujours le niveau de l’apprenant. T’sais quand c’est ton pire qui est en train d’essayer d’apprendre des choses, faut que tu prennes ton temps. Si tu vas trop vite, le meilleur est supposé de suivre et de livrer dans ton cours. Le moyen va rajouter quelques heures, puis le faible va rajouter plus d’heures. Si le fort est en train de rajouter des heures, c’est que tu vas trop loin dans ce que tu es en train de montrer : tout le monde tombe en surcharge. […] L’industrie ne connaît pas souvent cet enjeu-là.
Les besoins en maillage entre les établissements d’enseignement collégiaux et universitaires

Quelques enseignantes et enseignants des établissements d’enseignement collégiaux ont rapporté le besoin de concertation entre les compétences enseignées dans leur programme et le niveau de celles qui sont développées dans les programmes de baccalauréat. Ils signalent le besoin de mieux définir les rôles de la formation collégiale et ceux de la formation universitaire. Par exemple, comme l’exprime un enseignant du programme DEC Techniques d’animation 3D et de synthèse d’images


« Il faudrait vraiment définir ce qu’on fait au cégep et ce qu’on fait à l’université. Et c’est difficile de tout le temps discuter avec les universités. "Ha, toi tu fais ça ou ça. Moi je l’ai fait, et bla bla bla". Si c’était plus défini ça faciliterait la chose. Si les universités partaient [là] où les cégeps finiss[ai]ent, par exemple, dans le programme général et qu’elles puissent bâtir là-dessus.
5.3.3.2.Les points de friction d’ordre infrastructurel et d’ordre organisationnel
Un manque de budget pour des infrastructures et des équipements de pointe

Plusieurs enseignantes et enseignants de niveau collégial soutiennent que les établissements d’enseignement ne disposent actuellement pas du budget ou de l’espace nécessaires pour renouveler suffisamment fréquemment leur parc technologique et mettre en place des laboratoires spécialisés, notamment en capture de mouvement, en photogrammétrie ou encore en production virtuelle. Ces installations très coûteuses demandent l’achat d’équipements de pointe, comme des dispositifs de suivi, des numériseurs, des écrans et des ordinateurs performants en nombre suffisant. Ces enjeux ne semblent pas aussi criants dans les universités. Peu de professeures et professeurs universitaires ont mentionné le manque de ressources et de technologies de pointe comme difficultés d’adéquation formation-emploi de leurs programmes.


Des freins qui nuisent au recrutement et à la rétention du personnel provenant des entreprises

« On a des difficultés de recrutement. [...] Les gars en effets visuels gagnent des salaires de 150 000 $, donc en offrir la moitié…

La majorité des personnes enseignantes interrogées ont souligné que l’embauche de professionnelles et de professionnels des studios était l’une des stratégies les plus utilisées pour l’adéquation de leur formation avec le marché du travail. Les frictions d’embauche de ressources professionnelles sont des freins notoires à la mise à jour des contenus des formations, car elles limitent les contacts entre les programmes collégiaux et universitaires avec les réalités du travail en entreprise. 


Des salaires non-compétitifs dans les cégeps et un manque d’offre pour des cours spécialisés

Un grand nombre d’enseignantes et d’enseignants collégiaux déplorent les salaires non compétitifs offerts au corps enseignant. Selon ces derniers, il s’agit d’un frein important pour le recrutement de nouvelles ressources issues du milieu de l’entreprise, particulièrement des formatrices et des formateurs dont les compétences sont spécialisées. Quelques enseignantes et enseignants de niveau collégial font état des difficultés de rétention des chargés de cours et des enseignants, car les cours spécialisés que ceux-ci sont appelés à enseigner ne sont pas en nombre suffisant pour permettre aux personnes concernées d’enseigner à temps plein. 


Des modalités d’embauche rigides dans les universités

Les freins à l’embauche d’enseignantes et d’enseignants issus de l’industrie ont aussi été abordés par certains professeurs et professeures universitaires. Ils et elles soulignent la rigidité administrative des critères d’embauches qui nuisent au recrutement d’expertes et d’experts professionnels comme professeures et professeurs invités ou comme chargées et chargés de cours. Par exemple, un professeur révèle : « Nous on aimerait avoir plus de professeurs invités, mais on a des modalités de l’Université qui nous empêchent d’inviter, par exemple, un monteur à donner un cours ».


Illustration: Cyril Doisneau
Les processus rigides de validation des changements dans les programmes de formation initiale

Bien que cet enjeu ne soit pas partagé par tous les établissements, un bon nombre de professeures et professeurs collégiaux et universitaires ont reproché la lourdeur administrative qui limite l’adoption rapide de changements de leur programme (que ce soit au niveau de leur contenu ou de leur structure pédagogique). Par exemple, selon un enseignant de niveau collégial :


« [...] un autre frein [à l’adéquation formation-emploi] serait la vitesse à laquelle on peut faire évoluer notre programme de formation, considérant qu'on est dans une maison d'enseignement publique, québécoise, qui a beaucoup de paliers d'approbation avant de pouvoir faire des changements. Si on souhaite intégrer une nouvelle discipline, comme l'intelligence artificielle, ça ne se fait pas du jour au lendemain. C'est quelque chose qu'on va devoir saupoudrer avant que ça devienne des activités d'enseignement et d'apprentissage.

Dans un contexte où les changements technologiques et organisationnels dans les entreprises sont continuels, fréquents et rapides, plusieurs jugent essentiel pour les programmes de formation de réformer le système de validation des changements pour que ces derniers soient plus rapides afin de réduire le décalage entre les formations et les réalités des entreprises.


5.3.3.3.Les déficits en formation continue du personnel enseignant des cégeps

Les enseignantes et les enseignants collégiaux indiquent que les ressources en infrastructures organisationnelles et la quantité de travail quotidien qu’ils doivent effectuer nuisent à l’accessibilité du perfectionnement et de la mise à jour de leurs compétences. Cette situation a des conséquences directes sur leur capacité à adapter le contenu de leurs cours aux besoins, aux nouvelles technologies et aux pratiques changeantes de l’industrie. Selon l’ensemble des enseignants des cégeps interviewés dans le cadre de l’enquête, le manque de temps et de possibilités de mentorat ou de coaching sont les principaux freins à l’adéquation formation-emploi de leur programme d’études. Cette situation a peu souvent été soulevée par les professeures et professeurs d’université.


Les enseignantes et enseignants des cégeps disent qu’il est difficile de dégager du temps pour mettre à jour leur pratique et l’apprentissage de nouveaux logiciels. Ce manque de flexibilité accentue le décalage entre l’adoption de nouveaux outils par les studios et la maîtrise suffisante de ces derniers pour les enseigner aux élèves de leur programme. Elles et ils expriment aussi, à l’unanimité, un besoin de mentorat et déplorent de ne pas avoir la possibilité d’entrer en contact en continu avec des personnes-ressources dans différentes entreprises. Ces enjeux sont moins criants pour les personnes enseignantes qui possèdent un vaste réseau de contacts personnels. 


Afin de pallier cette situation, la majorité des participantes et participants ont évoqué la mise en place de stages pour enseignantes et enseignants : elles et ils désirent être dégagés de leurs tâches d’enseignement en raison d’une journée (ou plus) par semaine, afin d’intégrer des productions dans les studios, et ce, de manière continue. Cette mesure leur permettrait de maintenir leurs compétences à jour, en plus d’établir des canaux de communication pérennes entre leur établissement et les entreprises, de sorte que les informations sur les besoins de ces dernières puissent circuler plus facilement. Certains enseignants et enseignantes soutiennent qu’il serait également nécessaire d’avoir accès à des personnes-ressources dans différents studios pour les mêmes raisons. Par exemple, au sujet de l’intégration des professeures et professeurs dans les productions en entreprises, un enseignant s’exprime ainsi : « J'aimerais me faire dégager [de charges d’enseignement] pour aller travailler dans une entreprise sur des vraies shots et me faire coacher, par exemple, une journée par semaine pendant une session, mais il faut être dégagé pour ça. L'ensemble des profs aurait besoin de ça ».


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